Des
mots, des grands mots qu'on lache pour dire et lancer au travers de
gens distraits quand on leur parle pour un avenir, pour le passé.
Pour aimer l'avenir il faut aimer son île, sa ville, son village,
ses rues, ses vieilles pierres qui nous parlent, ce sont elles qui nous
regardent peut-être avec des reproches. Je suis né dans
cette vieille ville dans les vieux quartiers de la haute ville ; au
pied de la citadelle ; dans l'une de ces vieilles maisons souvent
aux façades lépreuses où quelques vieux toits en
lauzes se marient avec des vieilles tuiles rouges.
Elevé dans ce vieux quartier,
ces ruelles étaient nos terrasses de jeux, les places - des cours
où l'on venait s'asseoir pour écouter nos ancêtres
remonter vers le passé où souvent de merveilleuses histoires
se mêlaient à l'horreur des sorcières, des bandits.
Qui n'avait pas vu marcher des morts, entendu une voix qui venait de
l'au-delà entrer dans le couloir d'un immeuble ?
Aimons-nous ce passé assez fort pour
le transmettre à nos enfants ?
Regardons autour de nous, que notre
mémoire s'arrête un instant. La vieille chapelle St Théophile
avec ses signes du zodiaque sur le fronton. Elle fut bâtie sur
le dépotoir des gens de la haute ville, à l'heure où
les cabinets n'enrichissaient pas les maisons des habitants. La grande
maison des soeurs a toujours gardé ses murs apparents ; l'esplanade,
c'était des jardins.
La maison en contrebas, la famille de
Signorio, venue de Gênes, s'y était installée. C'est là que devait naître
Blaise, St Théophile. C'est une maison très haute, plusieurs étages
la forment. Toute en hauteur, étroite enclavée, serrée par d'autres
maisons, sans air ni soleil. Aucune plaque n'est apposée sur ce qui
a été le berceau du Saint dont la Corse vénère et chante les louanges.
Par contre deux plaques en marbre ont été apposées sur la chapelle bâtie
avec l'argent des Cortenais et celui des Cortenais de l'extérieur....
Un grand bénitier en marbre de
la Restonica récupéré paraît-il de l'église
St Marcel avait été placé sur la place à
coté de la chapelle. Il est aujourd'hui cassé...
Sur la place de notre vieille église
qui date du 13ème siècle, la maison du général
Gaffori atteste de la lutte des Gaffori et des Corses contre les Génois
: quelques traces de balles témoignent encore de l'âpreté
des combats.
Sur la façade, face au clocher le cadran
solaire témoigne du passé muet alors que l'horloge sonne les heures.
La statue de Gaffori est là. Le bas-relief nous montre à
l'arrière plan la citadelle avec sa tour. Le fils de Gaffori,
otage du génois, est sur cette tour, sa mère entourée
des Corses, un flambeau à la main au-dessus d'un baril de poudre
est prête à tout faire sauter
le génois se
rendra.
Non loin de là, la place où était bâtie
la maison des Romei. La pierre d'infamie où était écrite l'histoire
du crime fut récupérée en 1945-1946 au cours de fouilles d'élargissement
de la rue du Colonel Feracci. Pendant plusieurs années elle restera
dans un coin dans l'indifférence des gens qui passaient sans un regard.
Plus tard elle sera scellée au palais National. Elle est une page d'histoire
écrite sur la pierre.
La maison des Buerio, Cortenais délégué
à l'assemblée constituante en 1793-1794, est un autre
témoin de notre histoire. Mais qui s'arrête pour se souvenir
?
En face, la maison dont l'arcade donne
devant le palais National était l'entrée de la prison
au 18ème siècle. Cette maison avec un passage aurait été
un hôpital vers le 13ème ou 14ème siècle
: l'Hôpital St Louis.
Notre promenade nous amène vers
la place du Poilu, souvenir de la guerre 14-18. A droite, la maison
Bonaparte, en face, l'entrée de la caserne....
Jacques-François Gambini
(1914-1994)